mercredi 28 décembre 2011

Université Une pièce maîtresse du projet néolibéral

par Marc Delepouve, secrétaire national du SNESUP-FSU ; le 29 juin 2007

Le « projet de texte portant organisation de la nouvelle université » suscite toujours de nombreuses oppositions dans le monde universitaire (voir annexes ci-après), contrairement à ce qui a pu être dit dans la plupart des médias. Aussi, ce qui nous semble être le principal enjeu de ce projet – une attaque contre la démocratie et contre la société libérale (que nous opposons au néolibéralisme économique) – est un sujet « oublié » par ces mêmes médias. Nous nous limiterons donc ici à cet enjeu.

Une mission essentielle du service public d’enseignement supérieur et de recherche est le développement et la diffusion de connaissances au service de l’épanouissement intellectuel et culturel des étudiants/citoyens dont la liberté de pensée et l’esprit critique reposent sur la rencontre et la confrontation avec des champs idéologiques divers et contradictoires. A cette fin, le service public universitaire se doit d’être protégé de toute hégémonie idéologique.

Tout le monde ne l’entend évidemment pas ainsi. Déjà le néolibéralisme a mis la main, à un niveau quasi planétaire, sur la plus grande part de l’espace médiatique. Aussi, pour assurer son développement et sa pérennité, il lui faut prendre possession de l’université. Mais certains peuples opposent une résistance. Parmi ceux-ci les français. Déjà il y déjà 20 ans ils ont mis en échec le projet de loi Devaquet, c’était en 1986. Mais la France ne doit pas faire exception ; et Nicolas Sarkozy entend la soumettre. Il ne s’agit évidemment pas d’utiliser la force des armes, ni les procès en sorcellerie. Cela sera plus subtil, insidieux, et finalement plus efficace.

La défense de l’université contre toute influence idéologique hégémonique repose sur des règles qui agissent tels deux cercles protégeant leur centre commun : la liberté académique de l’universitaire. Le projet de loi Pécresse/Sarkozy vise d’abord à supprimer le premier de ces cercles, déjà effrité, en modifiant les relations qu’entretiennent les universités avec des acteurs qui lui sont extérieurs. Ainsi les financements privés, qui existent déjà, seront-ils facilités, encouragés. Voir l’article 26 du projet de loi « créer en leur sein (au sein des universités) une ou plusieurs fondations » en vue du « développement du mécénat », avec les exonérations fiscales afférentes. Il s’attaquer ensuite au second cercle, en modifiant profondément les relations entre les directions des universités et les personnels, notamment les personnels d’enseignement et de recherche. C’est ainsi que le projet de loi, en son article 18, prévoit des outils de soumission, et finalement enterre – de fait - la liberté académique :

  • « Le conseil d’administration définit (…) les principes généraux de répartition des obligations de services des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. »
  • « le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels. »
  • « Le président peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée des agents contractuels pour assurer des fonctions d’enseignement et de recherche. »
  • Si l’absence de liberté académique d’un agent sous contrat à durée déterminée n’est pas à démontrer ; sur les autres personnels la carotte et le bâton de la répartition des tâches (appelée modulation des services dans le jargon de la profession) ou de l’intéressement auront, n’en doutons pas, leur efficacité. Même si quelques récalcitrants, dinosaures égarés dans nos temps modernes, défendrons farouchement leur indépendance.

Nous pouvons plus particulièrement nous interroger sur l’influence que pourront développer les mécènes sur des départements de lettres ou de sciences humaines. Chez les puissants, afin de préserver voire de développer leurs privilèges, est omniprésente la volonté d’influencer les valeurs, les représentations du réel et les comportements des populations. Pourquoi aujourd’hui ferait-il exception ? De bons travailleurs, de bons consommateurs et de bons citoyens, voilà ce qu’il leur faut. Et pour cela l’université est une pièce maîtresse.

Finalement les mécènes - entreprises ou individus fortunés – financeront des universités dites publiques, lesquelles – emportée par la course concurrentielle au financement - intérioriseront toujours plus les attentes et les intérêts de leurs bienfaiteurs.

Toutefois, en France et dans quelques pays tels que la Grèce, une résistance a jusqu’à ce jour empêché le basculement néolibéral de l’université. Ainsi, sous la pression de la mobilisation des étudiants et des lycéens, et moins de 24 h après le passage à tabac par des policiers - suivi du décès - de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986 le chef du gouvernement, Jacques Chirac, annoncera le retrait du projet de loi d’Alain Devaquet.
Depuis lors le bras de fer n’a cessé. Faut-il y voir un lien avec le fait qu’aujourd’hui la dépense par étudiant à l’université devrait en France bénéficier d’une augmentation de 50 %, cela non pas pour rejoindre le niveau moyen des « grands pays », mais tout simplement pour ne plus être au dernier rang de ces pays (voir annexe 1 ci-après) ?

Au-delà de la résistance, c’est une autre conception du service public universitaire qu’il faut promouvoir ; plus largement il est de plus en plus pressant de mettre un terme à la spirale de la mise en concurrence et de la marchandisation qui absorbe à grand pas tous les secteurs d’activité et de vie en société. A contrario, il faut imposer de développer des démarches de coopération ambitieuses entre les universités du service public, de suite à l’échelle nationale, puis à l’échelle européenne (ce qui oblige à organiser la mobilisation à cette échelle), et enfin au niveau international avec tous les pays et toutes les universités qui en feraient le choix.

Il s’agit là d’une question de choix de société, qui dépasse et englobe celle de la défense de la démocratie. Elle appelle une mobilisation des universitaires, des étudiants et de l’ensemble des citoyens.

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