mercredi 28 décembre 2011

Va-t-on Vers la disparition du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ?

À travers l'université on attaque la société libre et démocratique

Publié le 28 février 2011 par le journal l'Humanité

Par Marc Delepouve, Coresponsable du secteur international du SNESUP-FSU, Universitaire lillois.

Le 7 janvier 2011, dix-sept groupements d’universités, écoles et organismes de recherche ont déposé des projets initiative d’excellence (Idex) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Objectif, approfondir la transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche, entamée en 2006 et participant à l’affaiblissement général de la liberté et de la démocratie, par une soumission aux entreprises, aux contraintes économiques ou financières et à une logique totalisante.

Sous une forme aggravée en France, ce mouvement se développe en Europe et dans le monde. Faut-il pour autant céder au fatalisme ? Nous considérons que non. Trop, c’est trop. Le temps est venu de se rassembler et de s’opposer, à tous les niveaux, local, régional, national, européen et international.

Le Nord-Pas-de-Calais a déposé un projet Idex. Il est à l’image des 16 autres. Cela ne peut surprendre car, selon le ministère, seulement 5 à 10 projets seront retenus. Il a donc fallu se plier aux demandes du ministère, afin d’obtenir une dotation en capital dans le cadre du grand emprunt. Mais surtout, il s’agit d’être parmi les bons élèves, ceux que le ministère arrosera dans le cadre d’un financement par l’État de moins en moins défini en fonction des besoins du service public mais en fonction de projets, de critères improprement qualifiés d’excellence, et finalement d’une soumission aux desiderata de l’État et des entreprises. Aussi, la mise en concurrence des universités, aux échelles nationale, européenne et mondiale, pousse à tout faire pour acquérir notoriété, attractivité et finalement compétitivité. Pour ce faire, décrocher le label Idex serait indispensable.

Premier trait notable du projet nordiste, le vocabulaire employé, celui de l’entreprise : gouvernance, promotion des valeurs à l’interne et à l’externe, conseil de surveillance, directoire, benchmark… Les mots importent, et les représentants des entreprises seront ainsi en milieu connu. Au-delà, ce vocabulaire correspond à un mode d’organisation et de direction importé du monde de l’entreprise.

Deuxième trait, l’effacement de la frontière public privé et une absence de démocratie interne (de toute façon incompatible avec le management entrepreneurial proposé) :

– présence de la faculté catholique de Lille ;

– place centrale accordée aux partenariats avec le privé ;

– création d’une « fondation abritante » ;

– instances de pouvoirs où les représentants d’entreprises et, dans une moindre mesure, de collectivités locales sont les seuls membres extérieurs au monde de l’université et de la recherche. Par ailleurs, nous n’y trouvons aucun élu ou représentant des personnels, ce qui opère une rupture avec la démocratie universitaire, gage d’indépendance scientifique et de responsabilité collective.

Nous n’aborderons pas ici certains aspects du projet : salaire individualisé, destruction de collectifs, de solidarités et de coopérations…

Un point très politique. Quatre « clusters d’excellence scientifique », liant entreprises et recherche, constituent les « piliers » de l’Idex. Le cluster ADA, « argumenter, décider, agir », mérite une attention particulière. Il s’agit de « mener une politique de collaboration entre la recherche en sciences humaines et sociales et le monde politique, économique et social, et de développer des applications : aide à la décision, communication politique et publique, commerce, marketing, management organisationnel, mais aussi plus fondamentalement formation citoyenne et éducation ». « Le cluster mettra en place un fonds de dotation. Les réseaux d’entreprises mais aussi les opérateurs de développement et la société civile seront sollicités. »

Le contexte européen et mondial est celui où l’instrumentalisation des sciences humaines et sociales se développe au bénéfice d’un pouvoir renforcé des entreprises sur les populations. Or les instances de décision de l’Idex sont marquées par la présence des entreprises, dont la puissance financière est sans commune mesure avec celle des ONG, des associations, voire des collectivités locales. Si bien que, au regard de la diversité des objectifs couverts par le projet ADA, nous pouvons nous interroger sur le devenir de celui-ci, sur ce qui le dominera financièrement et politiquement.

Réforme après réforme, les sciences humaines et sociales sont toujours plus menacées de disparition partielle, et d’instrumentalisation pour la partie sauvegardée. Plus que tout autre domaine, elles montrent l’importance d’être solidaires et de construire un front uni face à une politique de restructuration de l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche menant à une destruction du potentiel universitaire construit durant des décennies et à une soumission à une idéologie totalisante qui s’attaque à notre société libre et démocratique.

Un front uni pour, prenant en compte les différences disciplinaires et la diversité des étudiants, concevoir et pousser à la mise en œuvre d’un modèle universitaire souple et divers dans son organisation, accomplissant les missions et respectant les principes qui fondent un service public de l’enseignement et de la recherche apte à répondre aux exigences académiques et, pour ce qui est de son ressort, aux besoins sociétaux, y compris économiques.

Contribution au thème " recherche et société " des Etats généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur (avril 2004)





Contribution au thème 1 " recherche et société " des Etats généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur (avril 2004)
Par Marc Delepouve
SNESUP-FSU

Les questions des liens entre la recherche et la société en général et entre recherche et économie en particulier ne sont pas nouvelles. Toutefois, depuis la fin du XXe siècle elles se présentent sous un jour nouveau :
  • De larges composantes de la recherche sont de plus en plus imbriquée avec l'activité économique. Nous avons là une caractéristique de ce qui, par simplification, est appelée économie de la connaissance. Laquelle est, du moins au stade actuel, intimement combinée au libéralisme économique.
  • Une accélération, dans de nombreux secteurs, de l'évolution des connaissances, des techniques et de l'usage des techniques.
  • L'évolution des connaissances et techniques porte des évolutions de l'être humain (certains y voient même des mutations profondes) via les modifications des conditions matérielles de vie, et via les changements culturels et sociétaux. Aujourd'hui, avec les perspectives des manipulations génétiques sur l'Homme et celles des nanotechnologies, se dessine un nouveau type d'évolution de l'humain, qui nécessite pour le moins une réflexion approfondie, de larges débats et qui doit éviter toute précipitation.
  • Des besoins sociétaux inédits et de dimension mondiale appellent, parfois avec urgence, de vastes chantiers de recherche.

1. Vers l'hégémonie de la logique marchande ? Pour revenir en haut de cette page !

La recherche publique est à la rencontre de plusieurs logiques qui, et cela avec des variations selon l'espace et le temps, à la fois s'affrontent ou s'articulent, divergent ou convergent. Nous les listons ici sans ordre hiérarchique :
  • Celle de l'Etat.
  • Celle des besoins de la société.
  • Celle de la démocratie.
  • Celle de l'entreprise marchande et du profit.
  • Et une logique endogène qui n'émane pas d'acteurs extérieurs au monde de la recherche : souci de la vérité, dynamique disciplinaire, émulation, désir de la connaissance, sens de la communauté universitaire internationale, éthique…
La logique marchande voit son influence croître depuis deux décennies, ce qui perturbe la dynamique de production des connaissances et la réponse apportée aux besoins de la société. Globalement, partout dans le monde, depuis deux décennies, les politiques des gouvernements au plan national, et les politiques intergouvernementales au plan européen et international amplifient ce déséquilibre : financement privé croissant ; grandes orientations nationales répondant aux besoins des entreprises ; privatisation des connaissances (brevets européens, accord ADEPIC de l'OMC) ; etc. Les derniers projets gouvernementaux français portent une accélération de ce mouvement.
Ne faut-il pas stopper ce processus ? Le réorienter ?
Le développement de la logique marchande sur la recherche publique s'accompagne
  • D'un primat de la compétition sur la coopération ;
  • D'une valorisation et d'innovations qui tendent à se réduire à leurs composantes marchandes, avec des conséquences structurantes sur la recherche appliquée et sur la recherche fondamentale.

2. Quelle place donner à la logique démocratique ? Pour revenir en haut de cette page !

La logique démocratique ne doit-elle pas accroître son influence sur la recherche ? Ne faut-il pas notamment développer les informations, les mises en débat public ? Ne faut-il pas multiplier les conférences de citoyens ? Si oui selon quelles modalités et avec quels gardes fous ?
L'évaluation des besoins sociaux d'un côté et celle des activités et des projets de recherche de l'autre sont décisives. Quelles limites présentent-elles ? Quelle place doivent-elle donner à la démocratie ? Dans tous les cas, l'évaluation des besoins sociaux et celle de la recherche publique ainsi que celle de l'usage du financement public de la recherche privée - qui fait grandement défaut aujourd'hui, ne peuvent être confiées à des cabinets privés.

3. Quel devenir de l'humanité ? Quelle recherche ? Pour revenir en haut de cette page !

Ne fait-il pas stopper, ou du moins contenir, le processus en cours en France, en Europe et dans le monde, de développement de la logique marchande sur la recherche publique ; et repenser la recherche et l'université publiques, ainsi que la nécessaire relation de la première avec la recherche privée, afin de, notamment, répondre davantage aux besoins de la société, et en particulier en prenant en compte les grands défis et périls que rencontre l'humanité : le réchauffement climatique ; plus largement un mode de vie et une organisation de l'espace mondial aujourd'hui inaptes à prendre en compte l'avenir alors même que la puissance matérielle est désormais extrêmement lourde de conséquences sur cet avenir ; érosion de la diversité des cultures, des modèles sociaux et économiques ; abandon d'une large part de l'humanité - d'abord et surtout hors des pays riches, mais aussi au sein de ceux-ci ; etc. ? Ces défis et périls n'exigent-ils pas de lancer de vastes chantiers de recherche couvrant un arc qui va des énergies renouvelables, aux sciences sociales et politiques, au mieux-vivre ensemble ? Des chantiers présentant une articulation internationale et planétaire ? Au-delà des actuels Etats généraux français de la recherche et de l'université, ne nous faut-il pas tenir des Etats généraux européens, voire internationaux ? Et ne faut-il pas mettre en débat l'idée de la recherche et de l'enseignement publics en tant que biens publics mondiaux ?

4. Explorer les liens entre la recherche et la société Pour revenir en haut de cette page !

La recherche est productrice de social. Pour exemple, au XXe siècle, la pilule contraceptive participera de l'évolution des rapports entre les femmes et les hommes ; le laser jouera un rôle inattendu sur l'information, la culture et la communication ; l'oeuvre de l'anthropologue Claude Lévi Strauss influencera la perception réciproque entre les cultures, voire leurs relations ; celle de Sigmund Freud la représentation que l'Etre se fait de lui-même et de ses relations à l'Autre ; John Maynard Keynes la vie économique et sociale. Ce ne sont là que quelques exemples pris parmi mille.
L'importance des enjeux de la recherche oblige celle-ci à sa propre mise en lumière. En particulier la société a besoin de recherches sur les relations entre la recherche et la société, ainsi que sur les interactions entre les différents lieux et secteurs de la recherche. Ainsi doivent être explorés, analysés:
  • La complexité des liens réciproques entre la recherche et la société, dont secteur de la recherche par secteur de la recherche ; et par conséquent doivent être explorés les rapports entre recherche fondamentale, recherche appliquée et innovation.
  • Les rapports entre les différents domaines de la recherche- de ceux des sciences humaines et sociales à ceux des sciences de la vie et de la nature.
  • Les rapports entre les différents lieux de recherche, en France, en Europe et dans le monde.

5. Demandes à adresser à la société Pour revenir en haut de cette page !

L'effort de recherche indispensable aujourd'hui pour répondre à l'exigence sociétale, pour faire face aux défis et périls de notre temps. Il reposera sur des moyens financiers et humains. Notamment un haut niveau de financement publics des structures et des thématiques ne doit pas être mis en concurrence avec le financement de la recherche par projet. Le concept de bien public mondial doit en particulier se décliner en un mode de financement permettant d'irriguer la recherche publique dans tous les pays.
Les moyens humains doivent être une priorité. Une culture de la recherche et une éducation à la recherche doivent être développées. De l'école primaire à l'enseignement supérieur doit être mis en place et développer :
  • Un enseignement sur la recherche, sa place dans la société, ses objectifs, ses structures, son fonctionnement, son histoire.
  • L'apprentissage de méthodes préparant à la recherche.
En France l'enseignement scientifique doit être renforcé et les coupures entre enseignement supérieur et recherche doivent être supprimées.

6. Recherche et économie dans le contexte libéral européen et international Pour revenir en haut de cette page !

La compétition économique entre les territoires est au fondement de l'Europe et de la mondialisation libérales. Dans ce contexte la recherche publique française est inévitablement appelée à participer à l'effort de recherche servant les entreprises du secteur concurrentiel. Quelles conséquences en termes d'articulations avec la recherche privée ? Toutefois, faut-il que l'ensemble de la recherche publique soit considérée et organisée en fonction de cette exigence ? Que l'ensemble de la recherche publique soit perméable aux intérêts marchands ? Ou faut-il au contraire que des lieux et des domaines de la recherche publique soient in-perméables aux intérêts marchands ? Si oui, lesquels ? Et grâce à quelles mesures concrètes ? Quant à la recherche publique en général, face aux intérêts marchand, quels mesures concrètes mettre en œuvre pour assurer la liberté académique, la rigueur et l'intégrité ? Quelles conséquences sur les statuts du personnels, sur les droits et les devoirs ?
Dans un même temps, comment, en France, stimuler la recherche privée ? Insuffler la culture de la recherche de l'école primaire à l'enseignement supérieur doit être un élément de réponse.
Une articulation européenne de la réponse de recherche, publique et privée, aux besoins des entreprises du secteur concurrentiel n'est-elle pas souhaitable ? Si oui, quelle modalité concrètes ?

Le G20, illégitime et historique

http://www.speculand.com/Le-G20-illegitime-et-historique

samedi 13 décembre 2008, par Marc Delepouve

Le G20 [1] ne possède aucune légitimité pour décider au nom de l’ensemble de l’humanité. Seule une ONU refondée pourrait avoir une telle prétention. Ecarter l’ensemble du continent africain, hormis l’Afrique du Sud, de choix qui engageront l’avenir de tous ne gêne nullement les Nicolas Sarkozy, Georges Bush, Silvio Berlusconi et autres grands démocrates de ce début de 21e siècle.

Ceci ne peut cacher le tournant historique qui a forcé le G8, composé exclusivement de pays de l’hémisphère Nord, dominateurs des XIXe et XXe siècle, à s’élargir à des pays du Sud ayant le plus souvent subi la colonisation, sinon la domination des premiers. Si en 1945 la fin de l’invasion de la Chine par le Japon ouvrait le processus mondial de décolonisation, en 2008 la naissance du G20, qui regroupe des pays où résident les deux tiers de l’humanité, marque l’entrée pleine et entière de puissances du Sud parmi celles qui président aux destinées du monde.

Tournant qui consiste notamment en un rééquilibrage économique et financier en faveur de pays émergents, ou ré-émergents. Ce qui, combiné à d’autres transformations ou bouleversements, n’est pas étranger à la crise financière - devenue crise économique et sociale : refusant de prendre en compte leur affaiblissement économique, les Etats-Unis ont laissé s’aggraver les déséquilibres macroéconomiques et l’endettement, jusqu’à la dérive des subprimes (Confer par exemple la vidéo « Crise financière et capitalisme néolibéral » de Gérard Duménil).

Tournant dont il s’agit de comprendre la nature et mesurer la portée afin de penser la sortie de crise, qu’elle soit financière, sociale ou environnementale.

Tournant enfin où, à peine échappés de leur situation de dominés, les pays nouvellement élus ne s’encombrent pas du tiers de l’humanité qui n’a toujours pas droit au chapitre, soit plus de deux milliards de personnes. Le processus de décolonisation n’est pas achevé, loin s’en faut.

Se pose pour conclure la légitimité de chacun des 20 à représenter les citoyens de son propre pays. Cela nous renvoie, au-delà de la question de la démocratie formelle, à la qualité effective de la démocratie.

Notes

[1] Le G20 est composé des membres du G8 (Allemagne, Canada, Etats Unis d’Amérique, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie et l’Union Européenne en 9e membre de ce G8) et de l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique et la Turquie.

Université Une pièce maîtresse du projet néolibéral

par Marc Delepouve, secrétaire national du SNESUP-FSU ; le 29 juin 2007

Le « projet de texte portant organisation de la nouvelle université » suscite toujours de nombreuses oppositions dans le monde universitaire (voir annexes ci-après), contrairement à ce qui a pu être dit dans la plupart des médias. Aussi, ce qui nous semble être le principal enjeu de ce projet – une attaque contre la démocratie et contre la société libérale (que nous opposons au néolibéralisme économique) – est un sujet « oublié » par ces mêmes médias. Nous nous limiterons donc ici à cet enjeu.

Une mission essentielle du service public d’enseignement supérieur et de recherche est le développement et la diffusion de connaissances au service de l’épanouissement intellectuel et culturel des étudiants/citoyens dont la liberté de pensée et l’esprit critique reposent sur la rencontre et la confrontation avec des champs idéologiques divers et contradictoires. A cette fin, le service public universitaire se doit d’être protégé de toute hégémonie idéologique.

Tout le monde ne l’entend évidemment pas ainsi. Déjà le néolibéralisme a mis la main, à un niveau quasi planétaire, sur la plus grande part de l’espace médiatique. Aussi, pour assurer son développement et sa pérennité, il lui faut prendre possession de l’université. Mais certains peuples opposent une résistance. Parmi ceux-ci les français. Déjà il y déjà 20 ans ils ont mis en échec le projet de loi Devaquet, c’était en 1986. Mais la France ne doit pas faire exception ; et Nicolas Sarkozy entend la soumettre. Il ne s’agit évidemment pas d’utiliser la force des armes, ni les procès en sorcellerie. Cela sera plus subtil, insidieux, et finalement plus efficace.

La défense de l’université contre toute influence idéologique hégémonique repose sur des règles qui agissent tels deux cercles protégeant leur centre commun : la liberté académique de l’universitaire. Le projet de loi Pécresse/Sarkozy vise d’abord à supprimer le premier de ces cercles, déjà effrité, en modifiant les relations qu’entretiennent les universités avec des acteurs qui lui sont extérieurs. Ainsi les financements privés, qui existent déjà, seront-ils facilités, encouragés. Voir l’article 26 du projet de loi « créer en leur sein (au sein des universités) une ou plusieurs fondations » en vue du « développement du mécénat », avec les exonérations fiscales afférentes. Il s’attaquer ensuite au second cercle, en modifiant profondément les relations entre les directions des universités et les personnels, notamment les personnels d’enseignement et de recherche. C’est ainsi que le projet de loi, en son article 18, prévoit des outils de soumission, et finalement enterre – de fait - la liberté académique :

  • « Le conseil d’administration définit (…) les principes généraux de répartition des obligations de services des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. »
  • « le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels. »
  • « Le président peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée des agents contractuels pour assurer des fonctions d’enseignement et de recherche. »
  • Si l’absence de liberté académique d’un agent sous contrat à durée déterminée n’est pas à démontrer ; sur les autres personnels la carotte et le bâton de la répartition des tâches (appelée modulation des services dans le jargon de la profession) ou de l’intéressement auront, n’en doutons pas, leur efficacité. Même si quelques récalcitrants, dinosaures égarés dans nos temps modernes, défendrons farouchement leur indépendance.

Nous pouvons plus particulièrement nous interroger sur l’influence que pourront développer les mécènes sur des départements de lettres ou de sciences humaines. Chez les puissants, afin de préserver voire de développer leurs privilèges, est omniprésente la volonté d’influencer les valeurs, les représentations du réel et les comportements des populations. Pourquoi aujourd’hui ferait-il exception ? De bons travailleurs, de bons consommateurs et de bons citoyens, voilà ce qu’il leur faut. Et pour cela l’université est une pièce maîtresse.

Finalement les mécènes - entreprises ou individus fortunés – financeront des universités dites publiques, lesquelles – emportée par la course concurrentielle au financement - intérioriseront toujours plus les attentes et les intérêts de leurs bienfaiteurs.

Toutefois, en France et dans quelques pays tels que la Grèce, une résistance a jusqu’à ce jour empêché le basculement néolibéral de l’université. Ainsi, sous la pression de la mobilisation des étudiants et des lycéens, et moins de 24 h après le passage à tabac par des policiers - suivi du décès - de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986 le chef du gouvernement, Jacques Chirac, annoncera le retrait du projet de loi d’Alain Devaquet.
Depuis lors le bras de fer n’a cessé. Faut-il y voir un lien avec le fait qu’aujourd’hui la dépense par étudiant à l’université devrait en France bénéficier d’une augmentation de 50 %, cela non pas pour rejoindre le niveau moyen des « grands pays », mais tout simplement pour ne plus être au dernier rang de ces pays (voir annexe 1 ci-après) ?

Au-delà de la résistance, c’est une autre conception du service public universitaire qu’il faut promouvoir ; plus largement il est de plus en plus pressant de mettre un terme à la spirale de la mise en concurrence et de la marchandisation qui absorbe à grand pas tous les secteurs d’activité et de vie en société. A contrario, il faut imposer de développer des démarches de coopération ambitieuses entre les universités du service public, de suite à l’échelle nationale, puis à l’échelle européenne (ce qui oblige à organiser la mobilisation à cette échelle), et enfin au niveau international avec tous les pays et toutes les universités qui en feraient le choix.

Il s’agit là d’une question de choix de société, qui dépasse et englobe celle de la défense de la démocratie. Elle appelle une mobilisation des universitaires, des étudiants et de l’ensemble des citoyens.

Quantifier, déshumaniser, anesthésier

Contribution à la rencontre de l'Appel des appels

Hier, 31 janvier 2009, dans la salle du Centquatre à Paris s'est tenue la réunion de l'Appel des appels. S'y sont rencontrés des acteurs de l'information, de la culture, de la justice, de la prévention, du travail médicosocial, de l'éducation, de la recherche et de l'université, de l'hôpital et des soins somatiques, des soins psychiques et de la santé mentale. De cette journée s'est dégagé le constat d'une même %oe%uvre de déshumanisation et de mise au pas de chacun de ces secteurs, avec certes quelques différences dans la mise en %oe%uvre liées à leurs spécificités. Une même transformation opère, niant le qualitatif, les liens humains, le collectif et tendant à soumettre et réduire l'activité humaine à une perception marchande et répondant à des critères mesurables.

Chacun de ces secteurs est vecteur de valeurs et travaille au c%oe%ur de ce qui fonde l'humain, donc au c%oe%ur de l'inquantifiable. Le soumettre à des politiques centrées sur des objectifs mesurables, exprimés par des chiffres, revient à le dénaturer, à le déshumaniser.

Qui plus est, de telles politiques, tristes copies d'un certain mode de management d'entreprises, se répandent aujourd'hui dans l'ensemble du service public, et tendent à opérer un repli de la personne au travail sur ses petits objectifs chiffrés, à la détacher des valeurs et de l'accomplissement des missions qui font sens, qui la placent en position de personne participant à la vie collective, au bien commun. Valeurs, sens, qui sont justement les ressorts du citoyen, acteur de la vie de la démocratie.

Amorcées il y a plus de deux décennies, ces transformations connaissent depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, une aggravation et une accélération, voire une précipitation.

Faisons ici un détour par un autre appel. Il y a dix ans, en juin 1998, naissait l'association altermondialiste Attac dont le lancement signifiait un appel de ces fondateurs (organes de presse, syndicats, associations, personnalités) à mettre un terme à l'hégémonie de la sphère financière sur l'économie et à l'emprise du néolibéralisme sur la société. Appel adressé à l'ensemble des citoyens pour qu'ils se « réapproprient ensemble l'avenir de notre monde ». En effet, le monde était en crise, du fait de cette hégémonie de la finance qui se développait depuis deux décennies, et plus généralement du fait de l'emprise croissante du néolibéralisme dont les transformations observées ci-dessus sont justement l'un des aspects. Cette crise mondiale est aujourd'hui entrée dans une phase aigüe avec la crise financière et ses conséquences sociales. Dans ce contexte se tient actuellement à Belém, au Brésil, le forum social mondial. Plus de 130 000 participants débattent, font des propositions et travaillent à des mobilisations internationales qui visent à remettre l'humain au centre du projet de société, et pour cela à libérer l'humanité de la toute puissance de la finance et de l'idéologie dite néolibérale. Idéologie qui porte un projet de société dont le moteur est la cupidité sur laquelle, dès l'antiquité, Aristote nous avait pourtant alertés.

La rencontre de l'Appel des appels ouvre un espoir et possède une portée subversive, car elle explore la déshumanisation en cours, et par là-même agit comme un stimulant de notre volonté d'exister et de vivre, libres et en tant qu'êtres humains. Toutefois, ce qui émerge collectivement de cette rencontre ne pourra trouver son plein aboutissement qu'en convergeant avec le mouvement altermondialiste et avec tout ou partie du mouvement syndical, cela tout en gardant une dynamique propre, car il ne peut s'agir de tout fondre en un tout. Il est nécessaire que ces trois mouvements se nourrissent mutuellement avec comme objectif commun : mettre l'humain au centre du projet de société et donner aux citoyens les conditions et les moyens de prendre leurs places dans une démocratie vivante. Une démocratie aujourd'hui dépressive, largement abandonnée par des citoyens soumis au processus de déshumanisation, repliés sur eux-mêmes et sur leurs proches, détachés du collectif, victimes de l'anesthésie néolibérale.

Le processus de déshumanisation et d'anesthésie à l'%oe%uvre connaît aujourd'hui en France une phase aigüe sous la houlette du Président de la République, pouvant provoquer une réaction générale de rejet, car les ressorts humains ne sont pas brisés ; ce que, au Centquatre le 31 janvier, de nombreux témoignages ont confirmé. La frustration monte : le désir de vie et d'humanité n'est pas éteint. C'était, je pense, le message de cette journée de l'Appel des appels.


Marc Delepouve

Secrétaire général d'Attac

1er février 2009