mercredi 28 décembre 2011

Quantifier, déshumaniser, anesthésier

Contribution à la rencontre de l'Appel des appels

Hier, 31 janvier 2009, dans la salle du Centquatre à Paris s'est tenue la réunion de l'Appel des appels. S'y sont rencontrés des acteurs de l'information, de la culture, de la justice, de la prévention, du travail médicosocial, de l'éducation, de la recherche et de l'université, de l'hôpital et des soins somatiques, des soins psychiques et de la santé mentale. De cette journée s'est dégagé le constat d'une même %oe%uvre de déshumanisation et de mise au pas de chacun de ces secteurs, avec certes quelques différences dans la mise en %oe%uvre liées à leurs spécificités. Une même transformation opère, niant le qualitatif, les liens humains, le collectif et tendant à soumettre et réduire l'activité humaine à une perception marchande et répondant à des critères mesurables.

Chacun de ces secteurs est vecteur de valeurs et travaille au c%oe%ur de ce qui fonde l'humain, donc au c%oe%ur de l'inquantifiable. Le soumettre à des politiques centrées sur des objectifs mesurables, exprimés par des chiffres, revient à le dénaturer, à le déshumaniser.

Qui plus est, de telles politiques, tristes copies d'un certain mode de management d'entreprises, se répandent aujourd'hui dans l'ensemble du service public, et tendent à opérer un repli de la personne au travail sur ses petits objectifs chiffrés, à la détacher des valeurs et de l'accomplissement des missions qui font sens, qui la placent en position de personne participant à la vie collective, au bien commun. Valeurs, sens, qui sont justement les ressorts du citoyen, acteur de la vie de la démocratie.

Amorcées il y a plus de deux décennies, ces transformations connaissent depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, une aggravation et une accélération, voire une précipitation.

Faisons ici un détour par un autre appel. Il y a dix ans, en juin 1998, naissait l'association altermondialiste Attac dont le lancement signifiait un appel de ces fondateurs (organes de presse, syndicats, associations, personnalités) à mettre un terme à l'hégémonie de la sphère financière sur l'économie et à l'emprise du néolibéralisme sur la société. Appel adressé à l'ensemble des citoyens pour qu'ils se « réapproprient ensemble l'avenir de notre monde ». En effet, le monde était en crise, du fait de cette hégémonie de la finance qui se développait depuis deux décennies, et plus généralement du fait de l'emprise croissante du néolibéralisme dont les transformations observées ci-dessus sont justement l'un des aspects. Cette crise mondiale est aujourd'hui entrée dans une phase aigüe avec la crise financière et ses conséquences sociales. Dans ce contexte se tient actuellement à Belém, au Brésil, le forum social mondial. Plus de 130 000 participants débattent, font des propositions et travaillent à des mobilisations internationales qui visent à remettre l'humain au centre du projet de société, et pour cela à libérer l'humanité de la toute puissance de la finance et de l'idéologie dite néolibérale. Idéologie qui porte un projet de société dont le moteur est la cupidité sur laquelle, dès l'antiquité, Aristote nous avait pourtant alertés.

La rencontre de l'Appel des appels ouvre un espoir et possède une portée subversive, car elle explore la déshumanisation en cours, et par là-même agit comme un stimulant de notre volonté d'exister et de vivre, libres et en tant qu'êtres humains. Toutefois, ce qui émerge collectivement de cette rencontre ne pourra trouver son plein aboutissement qu'en convergeant avec le mouvement altermondialiste et avec tout ou partie du mouvement syndical, cela tout en gardant une dynamique propre, car il ne peut s'agir de tout fondre en un tout. Il est nécessaire que ces trois mouvements se nourrissent mutuellement avec comme objectif commun : mettre l'humain au centre du projet de société et donner aux citoyens les conditions et les moyens de prendre leurs places dans une démocratie vivante. Une démocratie aujourd'hui dépressive, largement abandonnée par des citoyens soumis au processus de déshumanisation, repliés sur eux-mêmes et sur leurs proches, détachés du collectif, victimes de l'anesthésie néolibérale.

Le processus de déshumanisation et d'anesthésie à l'%oe%uvre connaît aujourd'hui en France une phase aigüe sous la houlette du Président de la République, pouvant provoquer une réaction générale de rejet, car les ressorts humains ne sont pas brisés ; ce que, au Centquatre le 31 janvier, de nombreux témoignages ont confirmé. La frustration monte : le désir de vie et d'humanité n'est pas éteint. C'était, je pense, le message de cette journée de l'Appel des appels.


Marc Delepouve

Secrétaire général d'Attac

1er février 2009

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